Comme d’autres secteurs en France, le livre devrait prochainement être confronté à la hausse du taux réduit de la TVA. Les libraires s'insurgent qui considèrent que le livre devrait être considéré comme un "produit de première nécessité".

Les consommateurs ne sont pas les seuls à avoir grincé des dents à l’annonce de la hausse du taux réduit de la TVA en France. Une profession s’est également élevée pour demander au gouvernement de reconsidérer son projet : les libraires.

Jusqu’ici, le livre bénéficiait, comme de nombreux secteurs, d’un taux de TVA réduit à 5,5 %. Rigueur oblige, ce taux réduit devrait passer prochainement à 7 %, sauf pour "les produits de première nécessité". Reste à savoir si le livre peut être considéré comme tel au pays de Montaigne, Victor Hugo et Michel Houellebecq.

Pour le gouvernement, si le monde de l’édition doit continuer de bénéficier d’un taux de TVA réduit en dessous des 19,6 % qui s’appliquent au reste, il ne peut toutefois échapper à une augmentation. Une décision qui a heurté nombre de libraires, inquiets du peu considération que leur portent leurs dirigeants politiques.

"C’est dramatique, catastrophique, le livre est bien entendu un produit de première nécessité, mais le gouvernement estime désormais que c’est un produit de luxe", s’alarme Philippe Leconte, libraire depuis 27 ans à Paris.

Du fond de sa petite librairie indépendante, nichée à deux pas de la maire du XIVe arrondissement, il n’a pas de mots assez forts pour s’élever contre cette mesure. "Au lieu d’augmenter la TVA sur les parcs d’attraction, on la monte sur les livres", s'insurge-t-il. Et d'ironiser : "C’est un choix de société, finalement assez en phase avec les vues de notre président qui admire Barthesse [sic] et n’a sans doute toujours pas digéré 'La Princesse de Clèves' [en septembre, Nicolas Sarkozy a prononcé un discours dans lequel il a butté sur le nom du sémiologue Roland Barthes, qu’il a prononcé Barthesse ; concernant 'La Princesse de Clèves' de Madame de La Fayette, le président français en a gardé, semble-t-il, un mauvais souvenir, ndlr]".

La France, "seul pays du monde où les librairies ont gagné de l’argent avec Harry Potter"

Comme lui, nombreux sont les libraires qui redoutent que la France s’engage sur le chemin pris par certains pays à vieille tradition littéraire ayant tourné le dos à leurs petites libraires. C’est le cas de Sylvia Whitman, la propriétaire de la librairie anglophone indépendante Shakespeare and Company, située dans le Ve arrondissement de Paris. "Depuis 15, 20 ans en Angleterre, les librairies ferment les unes après les autres…, prévient-elle. Il ne faut pas que le prix des livres augmente, car lire doit être à la portée de tout le monde."

Au milieu de la salle de lecture de sa boutique, où l’ambiance est studieuse malgré la présence de quelques touristes qui contemplent de vieilles reliures, elle loue le charme de sa ville d’adoption. "Nous invitons régulièrement des écrivains étrangers pour des lectures dans la librairie et presque tous soulignent la chance que nous avons à Paris d’avoir autant de librairies indépendantes."

Cette hausse de la TVA marquerait-t-elle la fin d’une exception dans le pays qui compte le plus grand nombre de Prix Nobel de littérature ? Sur un plan strictement comptable, le point et demi d’augmentation n’engendrerait une hausse que de 30 centimes sur un livre vendu 20 euros. Quant aux pays voisins, ceux-ci ne semblent pas beaucoup mieux lotis. La TVA est déjà de 7 % en Allemagne, un pays également loué pour son réseau de libraires, tandis qu’elle est nulle au Royaume-Uni ou aux États-Unis, mais le nombre de libraires y est en chute libre, l’essentiel des livres étant depuis longtemps vendu en grande surface.

Si une singularité existe en France, elle serait ainsi plutôt à chercher dans la protection des librairies indépendantes, soutenues depuis 30 ans par la loi Lang. Passée en 1981, cette législation, également appelée Loi sur le prix unique du livre, limite la concurrence dans le secteur et empêche les grandes enseignes de casser les prix aux dépens des librairies de quartier.

"Le seul pays du monde où les librairies ont gagné de l’argent avec Harry Potter, c’est la France. Car, avec le prix unique, les grandes surfaces n’ont pas pu en faire un produit d’appel [produit sur lequel est pratiqué un prix artificiellement bas pour attirer les consommateurs dans un point de vente]", rappelle ainsi Philippe Leconte. "Grâce à la loi Lang, on vend nos livres au même prix que les grands groupes, mais ils viennent chez nous parce qu’on est proches d’eux et qu’on les conseille." Il s’interrompt alors pour serrer la main d’un habitué qui fouille dans les rayons. "Prends celui-là, ça va t’embarquer totalement !" lui lance-t-il. Une recommandation qui fait mouche auprès de son client : "Je vais l’ajouter à ma liste de Noël".

Une mission ministérielle pour "accompagner" le secteur du livre

Conscient de l’importance du secteur et de la vague de protestation qu’a engendré son plan, le gouvernement a lancé une mission "pour accompagner le secteur du livre dans la transition vers une TVA à 7 %". Dans un communiqué, les deux ministres en charge du dossier, Valérie Pécresse, au Budget, et Frédéric Mitterrand, à la Culture, assurent être "soucieux que cette transition puisse avoir lieu sans impact sur l’économie des librairies".

En première ligne au cours des négociations, Guillaume Husson, délégué général du Syndicat de la librairie française, entend bien défendre "le réseau de libraires le plus riche, le plus dense à travers le monde, qui compte entre 2 500 et 3 000 magasins répartis sur le territoire français".

Il reconnaît cependant volontiers que le monde politique en France est attaché au secteur littéraire. "Cette augmentation de la TVA est surprenante, car on sent depuis toujours une attention particulière des acteurs politiques à l’égard des livres." Longtemps protégé, le secteur du livre serait-il alors victime d’un soudain désamour de la part de la classe politique ? "On ne peut pas parler de désamour mais, en effet, il y a quelques années, on se sentait davantage soutenus, déplore Guillaume Husson. Une telle hausse de la TVA sur le livre était récemment encore inenvisageable."

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