Après soixante-ans de présence dans les kiosques de l'Hexagone, le mythique quotidien "France Soir" ne paraîtra plus dans sa version papier. En faillite, le titre est contraint de supprimer 89 postes sur 127. Reste la version numérique...

Par Dépêche (texte)

AFP - Les rotatives de France Soir ont tourné mercredi soir pour une dernière édition, symbolique seulement, d'un journal mythique, passé en trente ans de leader des quotidiens français à première victime d'une ère numérique incertaine.

L'édition tournait en soirée sur les rotatives d'Evry, en région parisienne, à l'initiative des seuls syndicalistes qui refusent de voir mourir le journal alors que la direction du journal et la rédaction en chef ont annoncé que ne sortirait pas le quotidien produit par la rédaction.

"Nous avons décidé d'interrompre l'édition papier de France Soir, pour les raisons suivantes: les locaux et le personnel de France Soir ont été victimes hier d'une action commando violente (...). Dans ce contexte de menaces, les conditions ne sont pas réunies pour réaliser sereinement, aujourd'hui, une édition papier de qualité, dans les conditions éditoriales requises", selon un communiqué interne signé Alexandre Pougachev, propriétaire du titre.

"Les conditions de sortie du journal étaient pourtant requises", a assuré Stéphane Paturey, le secrétaire du Comité d'entreprise, lors d'une conférence de presse en soirée à l'imprimerie du journal, à Evry, jugeant la décision de la direction "choquante, puisqu'on est en phase de négociations et que l'employeur est tenu de donner du travail aux salariés".

En raison d'une bataille de procédure entre syndicats et direction et malgré la volonté d'Alexandre Pougachev d'appliquer son plan, l'arrêt n'est cependant pas forcément définitif. "L'arrêt définitif du papier n'est pas acté, dans la mesure où le Comité d'entreprise n'a pas encore rendu d'avis", a précisé la direction interrogée par l'AFP.

M. Pougachev avait annoncé en octobre l'arrêt de l'édition papier le 15 décembre, supprimant au passage 89 emplois sur 127.

A ce chiffre s'ajouteraient plusieurs dizaines de suppressions d'emplois induits dans les centres d'impression, a cependant déclaré à l'AFP Gérard Letreguilly, secrétaire général du Comité Inter (CGT).

Les dernières semaines du quotidien ont été ponctuées par des manifestations et des actions syndicales pour tenter de dissuader le propriétaire du titre. En vain.

Plusieurs actions en justice ont été engagées contre la direction, les représentants du personnel estimant que M. Pougachev n'avait pas respecté les procédures vis-à-vis du Comité d'entreprise pour mettre son plan à exécution.

Les derniers tours de rotatives à Evry (Essonne) signent la fin d'un journal à l'histoire exceptionnelle, de sa création par des résistants à une période particulièrement faste avant d'être ballotté de mains en mains dans un contexte de crise.

France Soir paraît pour la première fois en novembre 1944 dans la clandestinité et devient rapidement le premier journal français, franchissant le million d'exemplaires en 1953.

A la grande époque, France Soir publie sept éditions par jour, plus de 400 journalistes sont sur la brèche au siège Rue Réaumur, au coeur de Paris. Des centaines d'ouvriers, de cyclistes et de chauffeurs concourent 24 heures sur 24 au succès du titre.

Symbole d'une presse moderne "à l'américaine" - grandes photos, titres "choc", infos-services et bandes dessinées -, France Soir commence pourtant à voir ses ventes reculer.

Pierre Lazareff, son charismatique directeur, disparaît en 1972. Henri Amouroux qui prend les rênes du journal en 1974 ne parvient pas à enrayer le déclin. Le groupe Hachette vend France Soir en 1976. Robert Hersant, "le Papivore", le reprendra un peu plus tard mais échouera à le relancer.

Le journal changera encore de main à plusieurs reprises. Dernier rachat en 2009 par Alexandre Pougatchev: le jeune milliardaire russe injecte 75 millions d'euros à fonds perdus, auxquels s'ajoutent une dizaine de millions d'aides publiques.

Un sursaut des ventes, de 20.000 à 80.000 exemplaires, pendant quelques mois sera suivi d'une valse de dirigeants et de changements de ligne éditoriale. Alexandre Pougachev, las de renflouer les caisses, finit par jeter l'éponge.

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