En plus des confrontations sur le terrain, l'armée américaine et les talibans s'affrontent désormais dans le cyberespace à coups de messages sur la plateforme de microblogging.
C'est le 14 septembre 2011 que la guerre des tweets a véritablement commencé, au beau milieu d'une violente attaque contre l'ambassade américaine et le quartier général de l'Isaf [Force internationale d'assistance et de sécurité, nom des forces de la coalition en Afghanistan]. Jusqu'alors, les responsables de l'Otan avaient suivi de près les messages postés sur deux comptes Twitter liés aux talibans – mais ils s'étaient abstenus d'intervenir.
Les militaires américains ont tiré les premiers dans ce qui est désormais une guerre quasi quotidienne, où l'on s'échange des salves qui ne doivent pas dépasser 140 caractères. "Combien de temps encore les terroristes menaceront-ils des Afghans innocents", a lancé @ISAFmedia à l'adresse du porte-parole des talibans au deuxième jour de l'attaque contre l'ambassade, que des militants visaient à coups de roquettes et d'armes automatiques depuis un immeuble en construction. "Je c pa. C vous ki lé menacé depuis 10 ans. Rasé villages é marchés. E c vous ki parlé de menace," a riposté Abdulqahar Balkhi (qui utilise comme pseudo @ABalkhi), un des combattants sur Twitter des talibans.
Ces échanges furieux se poursuivent et ils sont désormais la seule ligne de communication ouverte entre les Américains et les talibans depuis l'échec des tentatives de pourparlers de cette année. L'état-major américain explique que l'attaque spectaculaire contre les édifices diplomatiques l'a convaincu qu'il lui fallait prendre l'initiative dans le domaine de la propagande – et qu'avec Twitter il disposait d'un outil idéal.
Il est difficile de savoir qui est en train de l'emporter dans cette guerre des mots. Si le nombre d'abonnés est une référence, alors @ISAFmedia caracole en tête.
En un an, le nombre de personnes qui suivent le compte Twitter de la coalition a enflé, passant de 736 à près de 18 000. Les deux comptes talibans – @alemarahweb, qui se contente de proposer des liens vers des dépêches et des déclarations officielles, et @ABalkhi, plus combatif – n'en recensent à eux deux qu'un peu plus de 9 000.
Beaucoup d'organisations terroristes sont dotées de sites Internet et interviennent sur les réseaux sociaux. Si les talibans ne sont pas le seul groupe extrémiste présent sur Twitter, ils sont apparemment les seuls à échanger régulièrement des tweets avec l'armée américaine.
L'identité des tweeteurs talibans reste un mystère, concèdent les militaires américains, qui spéculent sur le fait que leurs interlocuteurs mènent leur cyberguerre depuis l'Afghanistan, le Pakistan, ou un appartement douillet quelque part en Europe. Leurs messages prouvent en tout cas qu'ils obtiennent rapidement des rapports sur la situation sur le terrain, aussi inexacts soient-ils, reconnaissent les cybersoldats de l'Isaf.
"Ils entretiennent un lien efficace avec le terrain", constate le lieutenant-colonel Jimmie Cummings, l'un des animateurs du compte @ISAFmedia. Dans leurs tweets, les talibans appellent "envahisseurs" les troupes étrangères, et les forces de sécurité afghanes les "pantins" ou les "lâches". La plupart des véhicules de la coalition sont présentés comme des "chars", alors qu'il y en a relativement peu sur le terrain et les comptes rendus de victoires sont grossièrement exagérés, à en croire les officiers américains.
"La plupart des messages sont de la propagande, assure Cummings. Nous avons commencé à nous y intéresser, car l'abonné moyen pourrait plus ou moins y ajouter foi." Le personnel chargé des relations extérieures au sein de l'Isaf ne répond pas à chaque tweet taliban. "Nous faisons notre sélection", explique Cummings.
Le 9 décembre, @ABalkhi a tweeté qu'"@ISAFmedia [continuait] à génocider les Afghans : les terroristes de l'Isaf ont battu à mort un homme sans défense". @ISAFmedia a riposté : "Désolé, @ABalkhi, battre des innocents ne fait pas partie des pratiques de l'Isaf lors des perquisitions de routine."
C'est @ABalkhi qui a eu le dernier mot lors de cet échange : il a tweeté un lien vers une vidéo montrant les sévices perpétrés par des soldats américains accusés d'avoir tué des civils afghans pour le plaisir dans la province de Kandahar à l'été 2010. "@ISAFmedia a mille fois raison. Vous tuez et pillez juste pour le plaisir !!!", écrit le taliban.
Les autorités militaires ne savent pas quoi penser de la présence des talibans ou d'autres organisations sur les réseaux sociaux. Apparemment, les comptes des talibans respectent les règles de Twitter. Mais tant que leur ennemi continuera à tweeter, soulignent-ils, ils répliqueront.
"On peut soutenir que ces plateformes doivent rester aussi ouvertes que possible, reconnaît Badura. Une chose est sûre, nous ne sommes pas les seuls à en avoir perçu l'intérêt, eux aussi. Nous n'allons pas leur laisser l'avantage sur ce champ de bataille."
courrierinternational.com