Pro et anti-caméras de surveillance se déchirent à Paris, alors que s'ouvre l'ère de la "vidéoprotection" dans la capitale. Outil de sécurité indispensable pour les uns, les caméras sont, pour les autres, aussi liberticides qu'inutiles.

Par Julien PEYRON

Jusqu’à présent, elles surveillaient surtout la circulation automobile, mais petit à petit, les caméras de vidéosurveillance de Paris vont se tourner vers les habitants et les touristes de la capitale. En accord avec la mairie, le Premier ministre, François Fillon, a lancé fin décembre un vaste plan de "vidéoprotection" pour Paris. Celui-ci prévoit de doter la ville de plus de 1 100 caméras de voie publique et de haute technologie d'ici juin 2012, contre un peu plus de 300 appareils aujourd’hui, pour la plupart dépassés et dédiés essentiellement à la surveillance routière.

Longtemps honnie par les élus de gauche, la vidéosurveillance a désormais les faveurs de nombreuses agglomérations de France, y compris de villes administrées par les socialistes, comme Lyon ou Toulouse. À Paris, le maire socialiste Bertrand Delanoë s’est associé à la préfecture de police pour parsemer les arrondissements de centaines de caméras afin d’"améliorer la sécurité des Parisiens", selon l'un de ses communiqués.

"Je ne veux pas qu’une caméra surveille quel journal j’achète"

Ce soudain engouement pour la vidéosurveillance ne plaît pas à tout le monde et divise même au sein de la majorité municipale : les élus écologistes de la capitale se sont prononcés contre ce plan "liberticide", lors de son vote, en 2009. Au premier rang des opposants figure Sylvain Garel, président du groupe Europe-Écologie-Les Verts (EELV) au Conseil de Paris. Contacté par FRANCE 24, il dit craindre que ce plan soit le début d’une ère tout sécuritaire. "On se dirige vers un monde à la ‘Big Brother’. Je ne veux pas qu’une caméra me filme quand je sors dans la rue ni qu’elle surveille quel journal j’achète".

L'élu assure qu’il existe une différence de taille entre ces nouvelles caméras et celles qui surveillent les couloirs de bus, pour l’installation desquelles les écologistes avaient ferraillé lors du premier mandat de Bertrand Delanoë. "Les caméras des couloirs de bus n’identifient pas les gens, elles verbalisent simplement des numéros d’immatriculation. On est bien loin d’une atteinte aux libertés", tempête-t-il.

En dépit de la défection de leurs alliés habituels au Conseil de Paris, les socialistes entendent bien faire de Paris une ville "vidéoprotégée". L’adjointe au maire de Paris en charge de la sécurité, Myriam el-Khomri, indique à FRANCE 24 n’avoir "pas de problème idéologique avec les caméras". "Elles ne constituent pas à elles seules une politique de sécurité, mais il ne faut pas rejeter les nouvelles technologies", argumente-t-elle. Elle fait également valoir la création d’un comité d’éthique, chargé de vérifier la bonne utilisation des images enregistrées. "Un simple cache-sexe", pour Sylvain Garel.

"Les caméras seules ne résoudront pas le problème de la délinquance"

Au-delà des querelles partisanes, les plans de la mairie posent la question de l’efficacité réelle des caméras de vidéosurveillance. Un débat vieux comme l’invention de la caméra, dans lequel pro et anti-vidéosurveillance se renvoient les rares études sur le sujet. Le dernier rapport d’envergure sur la question, daté de 2008, est l’œuvre de l’institut The Campbell Collaboration, basé à Oslo (Norvège). Il pointe à la fois les limites des caméras de surveillance, appelées CCTV dans le monde anglo-saxon, pour leur "impact modeste" en matière de lutte contre la délinquance tout en soulignant leur relative efficacité en ce qui concerne la résolution des enquêtes.

"Il faut dire la vérité, les caméras seules ne résoudront pas le problème de la délinquance, mais elles peuvent être utiles en matière de dissuasion et d’investigation", plaide Myriam el-Khomri. Elle précise que la mairie a insisté auprès de la préfecture de police pour que le lancement de ce plan ne soit pas accompagné de réduction dans les effectifs de police, "la caméra sans homme est aveugle".

Sylvain Garel y voit lui un geste désespéré de la part de socialistes, "traumatisés par l’échec de 2002 [la défaite du candidat socialiste Lionel Jospin à la présidentielle, ndlr] et l’incapacité à répondre à l’offensive sécuritaire de la droite". "Si on considère qu’un Parisien sur 10 000 projette de voler le sac à main d’une vieille dame, pourquoi surveiller tous les autres en permanence ?", s’interroge-t-il, tout en se prononçant en faveur du rétablissement de la police de proximité, "car la seule solution, c’est la prévention".

Londres, un (contre-)exemple pour Paris

Lors du lancement officiel du plan de vidéosurveillance, François Fillon a souligné "le retard de Paris sur les grandes capitales européennes". La capitale française ne tient en effet pas la comparaison avec Londres, qui compte parmi les villes avec le réseau de CCTV le plus développé au monde et scrute chaque jour ses habitants grâce à près d’un million de caméras. Une spécificité dont la mégapole britannique n’a pas à rougir, selon Peter Neyroud, chercheur à l’institut de criminologie de l’université de Cambridge. "À Londres, la plupart des personnes se moquent d’être filmées et observées, les gens veulent simplement que les autorités ne conservent pas ces données trop longtemps", avance cet ancien haut gradé de la police britannique.

L'agent britannique ne comprend pourquoi certains s’opposent à ce que Paris suive l’exemple londonien. "En France, vous êtes déjà filmés quand vous prenez le métro ou que vous faites vos courses dans votre supermarché de quartier. Être désormais surveillé dans la rue par les autorités, ce n’est pas la mer à boire !" Concernant l’efficacité de la vidéosurveillance, il considère qu’aucune étude n’a été menée avec assez de sérieux pour faire école, pas même celle conduite en 2009 par la police londonienne, qui concluait qu’en une année, chaque tranche de 1 000 caméras permettait de ne résoudre qu’un seul crime.

La mairie de Paris assure toutefois ne pas vouloir suivre le chemin de Londres, qualifié même de "contre-exemple" par Myriam el-Khomri. "Il y a beaucoup trop de caméras, beaucoup trop d’images, elles ne sont donc pas exploitées", analyse-t-elle. Paris veut ainsi créer son propre modèle : un réseau limité de caméras, surveillé de près par des équipes de policiers spécialement formées à ce nouvel aspect de leur métier.

"Vidéopatrouille"

Pour l’heure, seules 200 nouvelles caméras ont été raccordées au réseau de la police de Paris. Certains policiers, spécialement accrédités, sont désormais assignés à la surveillance d’écrans de contrôle dans les "centres de visualisation", qui ont été implantés dans tous les commissariats d’arrondissement.

"C'est la police de demain ! Avant on n'avait que les oreilles des collègues sur le terrain, via les talkies-walkies, maintenant on va être leurs yeux aussi", s’enthousiasme le major Christophe Sounac, qui se voit désormais comme un "aiguilleur de l'information". Dans son centre de visionnage du commissariat du XIIIe arrondissement, qu’on dirait sorti d’une tour de contrôle d'aéroport, il dit ne pas comprendre les opposants à la vidéoprotection. "Ils seront bien contents qu'on puisse utiliser les images le jour où ils se feront agresser".

Son supérieur, le commissaire divisionnaire et chef du 3e district de Paris, Serge Quilichini, vante lui aussi les mérites des caméras, qui donnent à ses équipes "un coup d’avance sur les délinquants". Avec l’arrivée des vidéopatrouilles, les habituelles patrouilles de cinq hommes vont devenir des patrouilles de 4 + 1, pilotées par un homme dans le centre d'information et de commandement. "On ne partira plus le nez au vent.”

Tandis qu’un de ses hommes inspecte les images des caméras pointées sur le pont d’Iéna, entre la tour Eiffel et le Trocadéro, à la recherche de vendeurs à la sauvette, il balaye les accusations d’atteinte à la vie privée. "On ne va pas s'éterniser sur Monsieur Singh, simple touriste indien, mais sur les malfrats.

Les policiers ont vraiment autre chose à faire que de surveiller les honnêtes gens dans la rue, on veut simplement qu'ils puissent se balader tranquillement sur la voie publique."

Bien que ce haut gradé assure que le programme de vidéoprotection ne sera pas associé à des réductions d’effectifs, il se murmure toutefois, au sein du centre de contrôle, que le développement des caméras s’accompagne bien d’une baisse du nombre de policiers déployés sur le terrain. L’un d’eux attend le départ de son chef pour se risquer à un commentaire : "À terme, cela pourrait manquer d'humanité. Avec toutes ces caméras, on se dirige vers la disparition du policier de proximité qui connaît son quartier et ses habitants…"





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L'emplacement des caméras a été négocié entre la préfecture, la mairie de Paris et les maires d'arrondissements. Il a été décidé de n'en installer aucune aux abords des centres de sans-papiers et d’aide aux toxicomanes, pour ne pas "cibler" ces populations.





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"À Londres, nous avons trois niveaux de caméras. Dans le centre-ville, elles sont essentiellement consacrées la prévention d’actes terroristes. Dans les rues commerçantes, comme Oxford Street, elles servent à lutter contre les vols et les bagarres. Dans les quartiers plus excentrés, elles sont gérées en collaboration entre les policiers et les associations de quartier pour rassurer la population." Peter Neyroud, chercheur à l’institut de criminologie de l’université de Cambridge.

Photo postée sur Flickr par Carlos Villela






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Les policiers qui travaillent dans le "centre d'information et de commandement" du commissariat du XXIIIe arrondissement de Paris considèrent que le plan de vidéosurveillance ne porte pas atteinte à la vie privée. Ils soulignent notamment le fait que les images sont floutées à partir du premier étage des immeubles.



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