La société actuelle impose de nouveaux défis aux parents. Claude Halmos, psychanalyste, leur donne des clefs dans son nouvel ouvrage Dis-moi pourquoi (Fayard).
Pourquoi est-il particulièrement crucial -et délicat- aujourd'hui de trouver la "bonne" manière de s'adresser aux enfants?
Le monde pose de nouvelles questions aux enfants et donc aux parents, qui, craignant de ne savoir quoi répondre, se trouvent souvent désemparés.
Il faut en revenir à des repères simples. L'enfant est une personne, mais il est aussi un enfant. Il faut l'informer de ce qui le concerne et seulement de cela: on n'a pas à "tout" lui dire (lors d'un divorce, par exemple, on lui explique la séparation et comment il va vivre, mais on ne fait pas de lui le confident des dissensions du couple). Il faut lui parler dès son plus jeune âge, car, même bébé, il perçoit tout et a besoin qu'on lui permette, en lui parlant, de savoir consciemment ce qu'il sait déjà inconsciemment. Et il faut lui parler sans crainte avec les mots que l'on trouve et les émotions qui viennent, car l'enfant n'a que faire du "bien parler".
Ce qui compte pour lui, c'est qu'on lui parle, reconnaissant ainsi sa valeur et celle de ses questions.
Comment faut-il aborder la question des origines?
L'enfant est une personne, mais il est aussi un enfant
Cette question, qui doit être révélée très tôt à l'enfant, se décline maintenant dans toute sa diversité. Les nouvelles méthodes de procréation nous mettent devant des situations inédites. Nous savions déjà qu'il est indispensable de dire à un enfant qu'il a été adopté. Il existe aujourd'hui la fécondation in vitro, l'adoption d'embryon, etc. On peut d'abord expliquer avec des mots simples, puis, plus tard, quand l'enfant s'interroge, ajouter des détails.
Si le couple a eu recours à un donneur, il faut être clair. Expliquer que le père est celui qui désire l'enfant dans son coeur et sa tête, lui transmet son nom et lui donne l'amour et l'éducation qui lui permettront de devenir adulte. Le donneur n'est pas un père mais un homme qui souhaite, par un geste généreux et solidaire, aider un père (des pères) dont le corps est défaillant.
Les enfants conçus grâce à son sperme devraient avoir sur lui le plus d'informations médicales possible. En revanche, je suis opposée à la possibilité de demander la levée de son anonymat, car cela reviendrait à lui prêter un désir de paternité qu'il n'a pas.
Autre situation, devenue aujourd'hui un schéma courant: la famille recomposée.
En effet, de plus en plus d'enfants, issus de parents différents, sont amenés à vivre comme des frères et soeurs, à partager la même chambre... Cela peut être difficile pour eux s'ils craignent de devoir, par là même, partager l'amour de leur père ou de leur mère.
Une fois adolescents, pourquoi ne pourraient-ils pas tomber amoureux puisqu'ils n'ont aucun lien de sang? Il est important de leur rappeler que, lorsque l'on a été élevé dans la même famille comme frère et soeur (même si on ne l'est pas biologiquement), avoir ensemble des relations amoureuses est incestueux. On peut évoquer les enfants d'origines différentes, adoptés par le même couple et rappeler le fameux "Tu quitteras ton père et ta mère" de la Bible. On doit quitter sa famille d'enfant pour fonder celle que l'on aura choisie, une fois devenu adulte. C'est la loi du monde.
Vous recevez beaucoup de courriers d'enfants qui témoignent d'une grande inquiétude. Comment l'apaiser?
Les élèves craignent le chômage, pour eux et pour leurs parents.
Pour aider leurs enfants à garder le goût de vivre, les parents doivent désormais répondre aux questions qu'induit chez eux l'état de la société. Elles s'expriment dans les lettres que je reçois. La peur de l'enlèvement est fréquente. J'ai l'exemple d'une petite fille qui a peur d'être enlevée et qui croit que c'est fréquent puisque quand cela arrive, la télévision s'en fait le relais (les enfants, quand ils sont en âge de le faire, ne devraient jamais la regarder seuls). Il faut tout simplement ramener les enfants à la réalité. Et leur rappeler toutes les précautions: ne pas suivre quelqu'un, même si on le connaît, si l'on n'a pas été prévenu par ses parents et, surtout, crier, appeler à l'aide, donner des coups de pied, s'agiter ; bref, attirer l'attention. Les kidnappeurs d'enfants, c'est prouvé, ne sont pas courageux.
La crainte de l'avenir et de perdre pied est également de plus en plus exprimée. Elle est ressentie par les adultes et donc les enfants, et ce, dans tous les domaines. Les élèves craignent le chômage, pour eux et pour leurs parents. Beaucoup connaissent (ou ont connu) cette situation dans leur famille. Il faut écouter l'enfant en essayant de repérer comment, avec son imagination, il se représente la situation. Et, là encore, rectifier. Perdre son travail quand on est adulte, ce n'est pas comme être renvoyé de la classe parce qu'on bavarde. La personne au chômage n'a commis aucune faute, elle n'est pas "punie". Et il s'agit d'un problème temporaire, qui peut paraître insoluble aux enfants mais que les grandes personnes sont aptes à résoudre.
Les enfants sont aussi marqués, plus qu'on ne le croit, écrivez-vous, par le douloureux spectacle de la misère.
"Pourquoi des gens dorment-ils dans la rue ?" "Est-ce que, moi aussi, je peux devenir SDF?" interrogent-ils. Il faut leur parler de la société, qui ne devrait pas permettre que des personnes souffrent de la faim et du froid, de l'aide que l'on peut apporter en donnant quand c'est possible. Et aussi de la politique et de ce que signifie voter: s'accorder sur les grandes règles qui régissent notre vie. Mais il faut également expliquer aux enfants que ces gens dans la rue sont aussi blessés dans leur coeur et leur tête.
Ils ont eu, à un moment de leur parcours, de grands chagrins et n'ont pas pu les surmonter. La force que l'on possède dépend de ce que l'on a vécu. Un enfant, même très jeune, peut le comprendre et cela lui permet de réaliser que cette misère qui l'effraie n'est pas l'effet d'un déterminisme inéluctable, que l'on peut se battre. Expliquer le monde aux enfants, leur parler de la société, c'est leur donner les outils qui leur permettront d'y vivre.
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