Psychologues et pédopsychiatres estiment que le phénomène concernerait une centaine de cas par an en France.
Les fou rires à la récré, le cours de danse du mercredi, le karaoké avec les copines… La tendresse de son âge interdisait ce geste, inconcevable déjà chez trop d'adultes. À 11 ans, Mathilde (*) s'est suicidée. Mathilde, gamine au teint de rose, dont personne n'a vu le cœur sombre. Pendue dans le jardin familial.
C'est sa mère qui, il y a quelques jours, l'a retrouvée dans cette tombe à ciel ouvert où, lugubres, jeux et balançoire rappelaient l'insouciance qu'elle n'avait pas. Mercredi soir, vers 21h30, à proximité de la gare d'Aix-en-Provence, c'est un autre enfant de 12 ans qui s'est arraché à la vie en se jetant sous un train. Décapité sous le choc. Les premières investigations, confiées au commissariat de la ville, évoquent «un dépit amoureux».
Pas moins de 100 cas en France chaque année
Ces dernières années, ce mal-être insoutenable semble gagner des enfants de plus en plus jeunes. Le suicide d'enfants de 5 à 12 ans, bien que méconnu, a une réalité chiffrée: environ 40 par an en France. Pour ceux qui sont clairement établis comme tels. Car il y en aurait de nombreux autres qui échapperaient à la statistique, sous les masques de l'accident. «L'enfant qui passe à l'acte peut écrire une lettre d'adieu mais, le plus souvent, il se penche trop par la fenêtre ou descend d'un autobus en marche, constate un pédopsychiatre. Alors les adultes pensent à un accident».
En réalité, il y en aurait 100 par an, estiment les experts.
Mais plus que le nombre, c'est la densité du problème qui interpelle. Spécialistes et pouvoir public se sont récemment saisis du sujet pour tenter d'en comprendre les causes et, surtout, pour mieux en prévenir les risques. À la demande de Jeannette Bougrab, secrétaire d'État chargée de la Jeunesse, le neuro-psychiatre Boris Cyrulnik a remis un rapport en septembre dernier sur cette douloureuse question. Son travail, intitulé «Quand un enfant se donne la mort», a été publié aux Éditions Odile Jacob. Le préambule fait peur: «40 % des enfants pensent à la mort tant ils sont anxieux et malheureux». Un désespoir précoce dont les causes seraient multifactorielles.
Une cascade de déchirures invisibles
«Le cumul des événements qui déclenchent l'acte suicidaire résulte d'une cascade de déchirures invisibles, d'une convergence d'événements de nature différente», observe cette toute première étude du genre. Cela peut être un deuil précoce, un conflit entre les parents, des maltraitances, l'absence d'un univers sécurisant à la maison ou encore le harcèlement à l'école.
Pour certains, une étincelle suffirait à déclencher le passage à l'acte, comme cette fillette diabétique de 9 ans, qui l'an dernier, après avoir été privée de confiseries par sa nourrice, a sauté du 5ème étage. «Une phrase blessante, une petite frustration, une mauvaise note à l'école ou le déménagement d'un copain peuvent provoquer une déflagration exceptionnelle», prévient le rapport.
Attention toutefois aux amalgames, alerte le pédopsychiatre Stéphane Clerget qui regrette que les 5-12 ans soient englobés sans distinction dans l'analyse de ce rapport. «Ces suicides impulsifs n'existent quasiment pas chez les tout petits. Quand un enfant de 5 à 9 ans passe à l'acte c'est toujours pour des raisons de dépression profonde, de rupture dans la petite enfance. Ce sont rarement des enfants qui allaient bien la veille, au contraire des ados».
Dans ces ados, il y met les 10-12 ans, la puberté survenant aujourd'hui «2 à 3 ans plus tôt qu'au début du XXème siècle», dit-il. «Leur jeune âge donne l'impression qu'il y a de plus en plus d'enfants dans les chiffres du suicide mais en vérité ils sont déjà dans la catégorie des adolescents».
Une période délicate qu'ils vivent précocement, intensément, et sous pression, à en croire Emmanuelle Rondeau, psychologue pour enfants.
«Le poids mis par la société sur leurs épaules dès le plus jeune âge n'est pas un facteur protecteur, explique-t-elle. On veut les responsabiliser trop tôt en exigeant d'eux des bonnes notes, des rythmes effrénés, une aptitude en tout, une compétitivité à tous les étages. Cette impératif de maturité avant l'heure les met dans de grandes situations d'angoisse et créent des troubles existentiels».
Nécessaire, la prévention des risques n'est pourtant pas suffisante. Il faut une véritable réflexion sur l'encadrement des enfants dans la société, résume le rapport de Boris Cyrulnik. Notamment «en repensant l'école», avec l'adaptation des rythmes scolaires, une notation plus tardive ou encore la lutte contre le harcèlement.
(*) le prénom a été changé
lefigaro.fr